mardi 2 décembre 2014

Personne Ne Veut Etre Sauvé

"J’ai trouvé mon dieu, toi… mon premier dieu… non, je ne l’ai pas trouvé à l’église, mais dans une salle de classe... c’est l’idéalisme… quel dieu magnifique… croire que tout irait bien.
J’étais dans ce temple qu’est l’université, d’abord comme étudiant, puis comme professeur, et je me suis laissé enveloppé de cette lumière creuse, oui.
La justice ? Oui, nous devions redresser tous les torts, la faim dans le monde ? Non, tout le monde mangerait à sa faim, la pauvreté ? Un souvenir lointain… dont l’existence serait difficile même à imaginer… la richesse serait distribuée, à chacun selon ses besoins… (rire), hé oui…
C’est seulement en arrivant à la banque mondiale que l’énormité du pathos du monde, la souffrance infinie inhérente à la condition humaine, s’est révélée dans toutes ses terribles manifestations, lentement, un jour à la fois… non, une minute à la fois…
J’ai compris la futilité de la lutte contre cette insurmontable tsunami que sont les troubles auxquels nous sommes confrontés.
Les choses ne changeront pas, ceux qui ont faim mourront.
Les malades, mourront aussi.
La pauvreté, oui… c’est un bon business… Les hommes sages sont réconfortés de connaître leurs limites. Je suis absourdi par cette révélation.
Non, je ne peux pas revenir à ce bienheureux temps."

Georges Devereaux - Welcome in New York, d'Abel Ferrara.

mardi 19 août 2014

Responsable



J'ai terminé hier la saison 2 de la série Breaking Bad.

Cette série, créée par Vince Gilligan, notamment scénariste d'épisodes de X Files, est un excellent mix de drôlerie et de drame.

La saison 2 monte en puissance jusqu'au 13e épisode et dans les trois derniers, elle traite spécialement d'un thème qui m'est cher et dont je ne cesse de parler ici et sur mon site personnel : la RESPONSABILITE. Et de ce que certains appellent l'effet papillon.



J'ai vu voici quelques jours la comédienne Bérénice Béjo expliquer que la fiction est souvent plus efficace que n'importe quel documentaire, pour parler de la réalité (au sujet de la sortie prochaine de The search, de Michel Hazanavicius, film prenant la guerre de Tchétchénie pour décor).



En regardant la fin de la saison 2 de Breaking Bad, j'ai pu constater la justesse des propos de cette comédienne.

Je vous conseille cette série, si vous ne faites pas partie des nombreuses personnes à l'avoir déjà vue.


Au-delà du fait qu’elle est taletnueuse et addictive, elle parle de choses fondamentales.



Breaking Bad, de Vince Gilligan

http://www.amctv.com/shows/breaking-bad

vendredi 4 avril 2014

Salaud, on t'aime



Lelouch est vivant !


« … C'est un trou dans la terre, un chemin qui chemine
Un reste de racine, c'est un peu solitaire… »

Ils vont encore dire, comme à chaque sortie de film de Claude Lelouch, les mêmes choses ressassées, on peut faire une liste tellement c’est devenu une tradition :

-       Oui mais Lelouch fait reposer tous ses films sur la musique
-       Oui mais chaque film de Lelouch vampirise un tube du répertoire français
-       Oui mais Lelouch est démesurément narcissique
-       Oui mais Lelouch c’est gnangnan
-       Oui mais Lelouch ne fait pas de cinéma
-       Oui mais Lelouch traîne en longueur
-       Etc.

Certainement qu’il y a un peu de vrai (ou pas) dans tout ça mais le problème c’est que, je ne vois pas où est le problème. Peut-être que ceux qui aboient à chaque film de Lelouch n’ont simplement pas les beaux yeux. Ceux qui permettent de regarder la vie de la bonne façon. Lelouch a tellement les beaux yeux que pour lui la vie est devenue cinéma et vice-versa. Aussi facilement qu’une caméra qui tourne trop autour de ses acteurs. Aussi facilement que d’autres aiment tout compliquer pour se laisser penser qu’ils ont tout compris à tout.

Cette fois c’est Georges Moustaki qui fournit le tube du film. Un qui raconte la vie comme elle est ou comme elle devrait être : comme dans un film de Lelouch ce serait vraiment bien. Celle qui fait aimer, quoi qu’il arrive, les salauds et les autres. C’est une belle philosophie je trouve, c’est un beau message, mais le message ne plaît pas à tout le monde. Il faut dire que tout le monde n’aime pas aimer.

Aimer c’est tout aimer, le bon, le mauvais, l’imparfait. Aimer c’est voir la beauté là où les autres ne la voient pas. Ce « reste de racine » que les autres foulent parce qu’ils pensent que la vie c’est regarder bien haut ; et pourquoi pas tout écraser.

« Salaud, on t’aime » parle des racines, de la famille, des amis, de l’amour et il en parle d’une manière évidente, fluide, humaine. Comme à chaque film de Lelouch. Claude a tellement envie de parler de la vie que toujours il mêle la réalité à la fiction. Toujours un morceau de la vraie vie fait irruption dans la vie rêvée : cette fois et là encore, c’est Moustaki, disparu le 23 mai 2013, pendant le tournage, qui fournit la matière à cette incursion, avec un passage du film illustré par une séquence dans laquelle une radio fait une journée spéciale Moustaki suite à son décès. La réalité rattrape la fiction et Georges, même mort, participe. Et c’est parti pour Les eaux de Mars.

Tout ce qui peut paraître parfois maladroit devient insignifiant : un dialogue entre deux comédiens, pas assez (ou trop !) répété ; des personnages trop reluisants, trop beaux, trop brillants ; trop de musique par ci, trop de musique par là ; trop d’autobiographie ; trop de grandiloquence ; un détail qui tue. On s’en fout, c'est détail, c’est la vie et tout le reste est tellement jouissif. L’important c’est que ça fonctionne et ça fonctionne, et c’est beau, et c’est grand, et c’est soigné. Même quand ça parle de la mort, même quand c’est un peu plus noir que d’habitude, quand même, ça met en apesanteur.

Un film de Lelouch c’est retrouver à chaque fois la famille, l’univers : parfois un évadé de prison et un flash à la radio, parfois un monologue de 5 minutes, parfois Charles Gérard, parfois Jacques Villeret, parfois la guerre, parfois un gros casse et des gros titres.

Un film de Lelouch c’est comme un bon verre de gnôle qu’on siffle entre copains, de la bonne et rare, celle qu’on n’ouvre que dans les grandes occasions pour se saoûler de vie et de beauté et de vérité vraie.

Dans "Salaud, on t’aime", tous les copains sont là, ils ont « l’âge d’être leur père » et pètent la forme. Dans leur refuge dans la montagne, sous le regard de l’aigle, Eddy et Johnny regardent John Wayne dans Rio Bravo et font la BO en duo devant leur écran plat, comme dans un crépuscule des Dieux applaudi par un public aimant. Ces septuagénaires en pleine forme, ces icônes, notre famille, on les voit bien centenaires et toujours fringants. Et on les aime, quoi qu’il arrive.

Ceux qui n’aiment pas Lelouch sont peut-être ceux qui ne savent pas aimer.

Un salaud de père, je sais ce que c’est. Son absence m’a appris la souffrance, son absence m’a appris la mort et son absence, je le pense, m’a appris à mieux aimer. C’est peut-être pour ça que depuis tout gosse, j’aime les films de Claude Lelouch. Tous.


Salaud, on t'aime, de Claude Lelouch, avec Johnny Hallyday, Eddy Mitchell, Sandrine Bonnaire, Agnès Soral, Rufus, Irène Jacob, Stella Lelouch.

mercredi 25 septembre 2013

Rush




















Cars & Girls

"Les hommes adorent les femmes, mais ils adorent encore plus... les bagnoles !". C'est ce que le gars, en pleine euphorie, les bras en l'air, dit au début du film.

Certes, mais ce n'est pas une raison pour penser qu'aimer "les bagnoles" c'est être un gros con. Où l'on se rend compte justement que Rush n'est pas un film sur les bagnoles. Pas seulement je veux dire. Une bonne raison de ne pas refuser d'aller le voir, parce qu'une fois que vous aurez vécu 123 minutes de cette aventure humaine accroché à votre siège et essoufflé, vous n'aurez plus la même vision des hommes qui aiment les "bagnoles".

Attention, je n'ai pas dit que vous aimerez les bagnoles, j'ai juste dit qu'il y a plein de façons d'être essoufflé, quand on est ouvert d'esprit. Ou comme le dit la promo du film : "Everyone's driven by something" (je ne traduis pas, c'est impossible).

Au vieil adage qui veut que plus la voiture est grosse, plus la puissance sexuelle de son propriétaire est petite, Ron Howard, grand gosse pour l'Eternité mais pas gamin pour autant, oppose la simple démonstration flamboyante d'une histoire vraie : la rivalité et les péripéties en 1976 de deux pilotes de Formule 1  de légende, le scientifique Autrichien Niki Lauda face au volcanique Britannique James Hunt.

Bien sûr, le premier manque de gâcher son bonheur de couple à cause de son obsession de la perfection et son talent militaire pour gagner ; et le deuxième a un physique de rugbyman et la gueule du gars qui peut tomber une hôtesse dans un avion et une infirmière dans une infirmerie juste en la regardant comme ça - c'est d'ailleurs ce qui se passe dans le film.

Oui, deux gros cons quoi... Pas du tout ! Deux êtres humains, pas invivables, pas cons, pas bêtes, pas "beaufs". Ils n'aiment même pas les bagnoles ces deux-là, c'est dire. Ce qu'ils aiment, c'est atteindre leur but (Niki Lauda) et vivre comme s'ils allaient mourir demain (James Hunt). Les bagnoles ils s'en foutent. Bref, deux gars intelligents, avec plein d'humour (là je parle de James Hunt, pas de Niki Lauda). Deux bons fils de famille qui auraient pu hériter de leur papa et devenir avocat ou médecin. Mais non, ils ont choisi de risquer leur vie à 300 à l'heure à l'époque où 8 % des pilotes de F1 mouraient sur un circuit chaque saison.

Oui Monsieur le Président, en vérité je vous le dis, ces hommes ne sont pas coupables ! Et ils n'ont même pas la tare d'avoir une voiture de 500 chevaux sous les fesses parce qu'ils n'auraient aucun succès avec les filles, c'est plutôt le contraire, alors vous voyez !

En définitive alors, pourquoi faire un film intellectuel avec des bagnoles et pas dans une barque sur un lac avec des fleurs au bord ?

Pourquoi, parce que pendant deux heures, c'est une démonstration de cinéma : la démonstration que faire un film de bagnoles n'est pas faire un film pour les cons, la démonstration que oui, une course de voitures peut être racontée avec une réelle écriture cinématographique qui n'aurait même pas besoin de se servir de l'humanité cachée dans la caboche des pilotes tenant le volant des McLaren, des Ferrari, des Ligier, des Lotus, des Tyrell.

Parce que la poésie est dans tout, dans les bagnoles aussi. Surtout quand on les filme aussi bien. De bout en bout, comme jamais, Rush vous plonge méthodiquement dans le mariage impossible de l'homme et de la machine, dans la violence du métal et le vrombissement des chevaux. De près, de loin, mais souvent de près, en gros plans, en vibrations, avec un nombre de plans incalculable, de la pluie, du goudron, de la gomme, des vapeurs, encore de la pluie, de la peur, et toujours les hommes s'accrochant à leur volant, s'évertuant à vouloir faire corps avec l'acier.

Et se retrouvant, comme Niki Lauda après son accident, un tube de métal enfoncé dans les poumons, charcuté sur un brancard comme on ferait une révision à une Ferrari.

La lumière est d'époque, les publicités sur les circuits sont d'époque, les couleurs sont d'époque, les femmes sont d'époque, la folie est d'époque, même le grain qu'on pourrait croire venir d'une pellicule 70 mm est d'époque. Je vous parle d'une superbe plongée dans les seventies, quand c'était forcément mieux que maintenant, parce que dans les virages du Nürburgring, les Formule 1 avaient encore le droit de quitter l'asphalte sur quelques mètres, parce que des James Hunt étaient prêts à mourir pour arriver à gagner une course, parce que des Niki Lauda pouvaient se retrouver enfermés dans leur habitacle en feu et reprendre le volant quelques semaines plus tard avec une oreille en moins et la peau de leur cuisse greffée sur leur front. Et toujours pas de barrières de sécurité.

Si vous n'aimez pas les bagnoles, vous aimerez au moins le film. Moi j'aime les deux.



Rush, de Ron Howard.
Avec Chris Hemsworth, Daniel Brühl, Olivia Wilde, Alexandra Maria Lara.